Appréciation, citation ou réelle appropriation, difficile d’estimer quel degré d’inspiration motive la création. Dans le monde du luxe, il est tout à fait normal d’emprunter à différents domaines et écosystèmes pour nourrir et produire des collections.
Toutefois, chaque nouveau défilé est une occasion de constater que l’exercice de l’inspiration culturelle est encore loin d’être maîtrisé.
Comment, alors, proposer des collections riches et inspirées sans se ridiculiser - ou pire encore - se faire blacklister ?
En quoi consiste l’appropriation culturelle ?
Selon Eric Fassin, sociologue au laboratoire d’études de genre et de sexualité de l’université Paris-VIII, la notion d’appropriation culturelle n’est pas aussi récente qu’on le pense.
Elle apparaît au début des années 90 et désigne la récupération de symboles et éléments culturels dans un contexte de domination occidentale. Il s’agit en d’autres termes d’une spoliation de biens matériels et immatériels provenant de pays anciennement colonisés ou de minorités historiquement opprimées.
Dans cette mesure, elle s’inscrit comme un héritage du néocolonialisme. Il peut s’agir du fait d’endosser des vêtements, des bijoux, des coiffes, des styles de coiffures ou encore des marqueurs d’identité ethniques mais aussi le fait de s’emparer de l’identité historique d’un peuple à des fins artistiques ou commerciales.
De l'ambiguïté du concept
La stratégie la plus courante est d’alléger la connotation politique de l’appropriation culturelle et d’en changer le sens. L’appropriation devient alors un “échange” entre deux cultures et sert de catalyseur à l’expression artistique. Pourtant, tout se fait sans accord préalable des spoliés. Quelques cas d’école à ne pas reproduire :
- Junya Watanabe et sa collection Printemps Été 2016 dont le thème “African” présente des mannequins défilant en dreadlocks, tresses collées, habits traditionnels Massai, cicatrices des Karamojongs d’Ouganda, etc. Autant de symboles africains distincts arborés par des individus blancs caucasiens.
- Kim Kardashian West, dont la marque de gaines, “Kimono” a été sujette à controverse début juillet 2019, déshonorant le véritable kimono traditionnel japonais. La jeune femme a fait marche arrière et opté pour Skims solutionwear.
- Dior et son spot pour le nouveau parfum Sauvage en Août 2019, retiré très rapidement des plateformes digitales peu après sa diffusion. En cause ? La mise en scène d’indigènes américains et de leur culture pour promouvoir un parfum dont le nom évocateur, Sauvage, fait écho aux stéréotypes colonialistes des amérindiens. Et ce n’est pas leur collaboration avec l’association Americans for Indian Opportunity qui aurait changé la donne.
Comment éviter le scandale ?
Il n’existe pas de manière certaine d’éviter la controverse ou le scandale.
C’est pourquoi les marques de luxe s’entourent aujourd’hui “d’experts” en sciences humaines afin de mieux comprendre les enjeux des luttes propres à notre siècle et tout particulièrement l’appropriation culturelle. Ce qui fait souvent défaut aux citations des marques, c’est la référence à la source d’inspiration.
S’inspirer de tenues traditionnelles africaines, pourquoi pas, mais dans ce cas pourquoi ne pas le revendiquer, et mettre à l’honneur des mannequins de culture africaines et/ou originaires du Berceau de l’humanité ?
S’inspirer de l’art, de la science ou même de la mythologie ne comporte en général pas de risque majeur.
En revanche, emprunter aux cultures, aux communautés et aux religions qui ne sont pas les leurs demeure une pratique certes dangereuse mais symptomatique des grandes maisons de luxe qui peinent encore à capter l’essence de leur siècle.
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